Ce matin, je révisai mon DS de géo (en fait, je terminai de recopier les cours qu'une amie m'avait envoyés (c'est pas que je les note pas, c'est juste que je les perds)) quand ça m'a brusquement dégoûtée qu'on apprenne ça comme un cours de géo alors que ce sont des faits réels. Et horribles (le sujet, c'était l'Afrique)(il se passe pleins de choses pas cool en Afrique)(j'adore énoncer des évidences).
Le fait est que c'est un sujet d'étude comme la guerre froide, donc l'étudier en cours, why not, de façon "objective", why not, sauf que c'est actuel. En fait. Et je me suis dit : "mais, on le sait, on en est pleinement conscient, et, on fait rien ? Genre tout va bien tout est normal ? Ou alors, c'est culturel, ça aussi ?".
Bref, j'ai disjoncté en grattant mes petits fiches de révisions et en me disant "faut que je fasse un article plein de rage et de haine envers l'humanité".
Après, j'ai pris le train pour aller chez ma psy, et pour une fois, je décide de ne pas prendre de billet parce que j'étais en retard. 65€ pour à peine dix minutes de train, ça fait mal. Plus de la moitié de mon salaire de ce mois-ci. SNCF, je t'aime pas trop là (en plus tu me portes la poisse (mais ça vous le verrez plus bas)).
Sur la route de ma psy, y'avait une SDF à qui je donne souvent ma monnaie d'achetage de clope. Il me restait encore un peu de mes 15€ de salaire de la veille (cher gouvernement, arrête de jouer les faux-culs et dit-le clairement : tu veux rembourser la dette sur le dos des fumeurs. Si tu voulais vraiment que les gens arrêtent de fumer, tu interdirais le tabac. C'est tout. Bonsoir.), donc je lui ai donné un peu. Idem avec celui qui était vers l'église. Et celui assis devant la poste (dans la logique : pourquoi je donnerai à elle et pas à lui ?). J'ai eu un tout petit peu envie de péter un câble en voyant les gens qui me regardait d'un air plutôt amusé. Genre "totalement excentrique, la gamine aux cheveux roses.". Je vais chez ma psy, je ressors un poil vidée et toujours avec la même sensation de "quelque chose m'étouffe et me répugne". La SDF de devant la gare est toujours là, elle me demande une cigarette, je tilte qu'elle a dit cigarette dans une langue que je connais et qui n'est pas du français, je dis "Hablas español ?" elle dit "Si", je commence à parler avec elle, je saisi pas tout mais je la laisse parler avec des larmes dans la gorge et des gens qui me regardent encore plus comme une allumée quand j'accepte son invitation de m'asseoir par terre à ses côtés. Elle dit que ça fait du bien que quelqu'un s'arrête pour discuter avec elle, elle me parle de choses et d'autres, j'écoute, j'essaye de parler moi aussi malgré mon espagnol bancal, je lui dis que je dois aller prendre mon train (je savais pas dire train, alors j'ai dis bus), en partant je lui laisse tout ce qui traînait dans mon porte-monnaie (ce qui était trop peu. Mais c'est pas comme si je pouvais faire mieux. Puis je m'en foutais, la semaine prochaine j'ai mon salaire et mon argent de poche. Elle, a priori, s'en foutait pas du tout).
Je te jure, j'étais pratiquement en train de pleurer sur le chemin de la gare. Je trouvais ça horrible que ça puisse seulement exister. Et que les gens puissent autant fermer les yeux et s'y habituer. Je conçois parfaitement qu'on soit à deux euros près, qu'on ait une famille à nourrir, un loyer à payer, et tout et tout. Mais le petit homme d'affaire qui passe à côté en jetant un regard de dégoût en parlant dans son Iphone dernier cri, va pas me faire croire qu'il est à deux euros près.
Arrivée à la gare, je me roule une clope histoire de faire redescendre les larmes à l'intérieur de moi. Je vais voir quand passe le prochain train, génial, à dix minutes j'ai raté celui qui m'aurait ramenée et je dois attendre trois quarts d'heures. Je retourne dehors. Je fume, un mec sur le quai d'en face dit "bonjour ! ça va ?" à une personne qui semble être à côté de moi, on se regarde tous entre nous, personne ne sait à qui il parle. Je vois qu'il se déplace pour changer de quai, je me dis "j'ai déjà donné dans les gens chelou sur ce même banc, on va pas prendre de risques, on va rentrer". J'ai ouvert mon petit bouquin de Tolstoï et j'ai lu.
Devine qui vient s'asseoir à côté de moi. Qui me tape la discute. Qui me taxe une clope. Qui me dit "on va fumer dehors ?". Qui je suis en me disant que dehors, peut-être que les gens réagiront. Qui me parle en me disant de ne pas paniquer. Qui commence à me toucher la cuisse. Qui je repousse tout en continuant à discuter normalement avec les gens par sms. Qui essaye de fourrer sa langue dans ma bouche en me touchant les seins d'une main.
Je n'hurle pas. Personne ne réagis autour, personne n'a vu. Je pars. Juste, je pars. Sans courir, sans hurler ou quoi que ce soit. J'ai envie de vomir. Il ne me suis pas. Je re-rentre dans le bâtiment avec tout mon être qui tremble et une envie de courir, vomir, hurler, arracher toute ma peau. Je m'assoie juste. J'envoie un message. J'ai besoin de me réfugier au moins mentalement auprès d'un ami.
Son train arrive et il disparaît. Le mien aussi. Je monte dedans, avec un billet cette fois. Je tremble toujours. J'arrive au lycée et j'ai désespérément besoin de parler à un être humain et d'être rassurée. Je retrouve mes amis. Mes jambes ne cessent pas de trembler et j'ai de plus en plus envie de me mettre à pleurer. Je relis le croquis que je connais déjà par cœur juste pour occuper mon cerveau. Je monte en histoire parce que j'ai un DS mais j'ai plutôt envie de m'en aller. Je fais mon DS avec le bras qui tressaute comme lors d'une crise de spasmo. J'appuie tellement fort sur mon crayon qu'on voit tous les traits de quand je colorie. Je répond n'importe quoi aux questions, je fais des longues phrases juste pour pouvoir écrire. J'écris comme un encéphalogramme fou, avec mes lettres déjà moches à la base qui tressautent à la limite du lisible. Je balance mes connaissances en vrac. Je m'en fous. Je m'en fous que ce soit illisible ou moche ou incompréhensible. Je me dégoûte.
Je me dégoûte parce qu'insidieusement la pensée qui a rampée dans mon crâne c'est que je l'avais bien cherché, avec mes cheveux roses et ma robe. Qu'il y avait d'autres femmes, sur le quai de la gare, d'autres dans la gare, et que si c'était tombé sur moi c'est que c'était mérité. Et que quelqu'un de normal aurait crié, se serait défendu,
On m'a remit les idées en place en me disant que c'était pas exactement moi le problème mais plutôt le type, là, sur ce foutu banc. Je ne remercierai jamais assez cette personne.
Au final, je suis toujours autant en colère. En colère d'avoir pensé que j'avais mérité ce qui m'était arrivé. En colère d'avoir trouvé personne pour réagir. En colère des événements du matin. En colère contre le monde entier.
Pourquoi c'est au consommateur de faire attention à tout ce qu'il achète afin que ce soit éthique ? Pourquoi c'est pas simplement normal pour les entreprises de ne pas envoyer des gens à la mort pour tel ou tel produit ? Pourquoi c'est plus fréquent de recevoir une insulte qu'un bonjour dans la rue ? Pourquoi on tolère des pratiques comme l'excision avec comme seul argument en faveur de la chose "c'est culturel" ? Pourquoi la démocratie ne se sert-elle jamais du seul outil démocratique dont elle dispose ?
Pourquoi, pourquoi, pourquoi...tant d'injustice. Trop peu de solutions.
Oh me! Oh life! of the questions of these recurring,
Of the endless trains of the faithless, of cities fill’d with the foolish,
Of myself forever reproaching myself, (for who more foolish than I, and who more faithless?)
Of eyes that vainly crave the light, of the objects mean, of the struggle ever renew’d,
Of the poor results of all, of the plodding and sordid crowds I see around me,
Of the empty and useless years of the rest, with the rest me intertwined,
The question, O me! so sad, recurring—What good amid these, O me, O life?
Answer.
That you are here—that life exists and identity,
That the powerful play goes on, and you may contribute a verse.
Of the endless trains of the faithless, of cities fill’d with the foolish,
Of myself forever reproaching myself, (for who more foolish than I, and who more faithless?)
Of eyes that vainly crave the light, of the objects mean, of the struggle ever renew’d,
Of the poor results of all, of the plodding and sordid crowds I see around me,
Of the empty and useless years of the rest, with the rest me intertwined,
The question, O me! so sad, recurring—What good amid these, O me, O life?
Answer.
That you are here—that life exists and identity,
That the powerful play goes on, and you may contribute a verse.
Walt Whitman.